Pour le Fooding, je suis allée à la rencontre d’un collectif de restaurateurs engagés : Nourritures Rennes, c’est son nom. Un groupe de pâtissiers et de chef.fe.s soudé.e.s pour qui les vieux codes de la restauration n’ont plus leur place dans ce monde.
À Rennes, une bande d’irrésistibles Gaulois·es a décidé d’en finir avec les cauchemars en cuisine. Parce que même si on s’appelle Nourritures, il n’y a pas que l’assiette qui compte – il y a l’humain aussi. L’occasion pour une vingtaine de restos d’expérimenter le collectif… et toutes ses contradictions.
L’heure du goûter n’attend pas chez Seize heures trente, la pâtisserie gourmande et responsable de Marion Juhel. La pâtissière enchaîne les nuits blanches comme les tours de feuilletage. « Je fais tout maison ici avec peu de personnel alors parfois je dors peu », ironise-t-elle entre deux fournées de brioches feuilletées. Sur un frigo, derrière elle, trône bien en vue la charte et les valeurs du collectif Nourritures Rennes. Y figure pêle-mêle une série de commandements tels que « Je m’engage contre toute maltraitance physique et morale », « je m’engage à être à l’écoute des salariés et de leur équilibre »ou encore« à reconnaître l’apprentissage comme l’un des vecteurs forts de transmission. » Ce collectif a vu le jour en septembre dernier. « L’idée c’est d’officialiser quelque chose que nous faisions déjà entre amis, en sous-marin, depuis longtemps, à savoir : partager du matériel, des fournisseurs, des idées de recettes et des CV… quand il y en a », résume l’ancienne ingénieure dans le bois reconvertie en pâtissière.
C’est à Olivier Marie, journaliste et photographe culinaire, qu’on doit l’idée de ce collectif bourré de valeurs, qui entend abreuver la scène rennaise en bonnes pratiques. En observateur avisé du petit milieu de la graille bretonne, il a voulu prendre part au changement. « L’initiative est née de trois constats. D’un côté, il y a l’émergence d’une génération de chefs aux convictions bien trempées, mais aussi d’autres talents un peu isolés qui n’osaient pas demander de l’aide. Puis il y a eu ces histoires de harcèlement sexuel durant l’été 2021. Et enfin, cette vague d’étoiles vertes pour des cuisiniers qui respectent parfois davantage leurs produits que leur personnel. Avec un petit groupe de restaurateurs, on s’est dit qu’il fallait que ça change », rembobine le journaliste. Nourritures a donc décidé de s’engager autour de trois axes : une gastronomie durable, humaine et en mouvement.
Leur part du gâteau
Pour Sibylle Sellam et Grégoire Foucher, le duo bistronomique à la tête de Bercail, ce projet est le reflet d’un terreau local ultra-fertile. « On a quitté Paris pour Rennes il y a cinq ans, parce qu’on a senti le potentiel de la gastronomie d’ici et de son terroir », confie la cheffe.
La capitale bretonne, longtemps boudée, est effectivement en train de se tailler une belle part de gâteau sur la scène française, si l’on en juge par le succès du festival Goûts de Rennes, qui s’y est tenu en octobre dernier. « Je pense qu’il existe dans cette ville une dynamique impulsée par des jeunes chefs engagés, souvent issus d’une reconversion, avec une part importante de femmes. Ils et elles ont envie de faire ce métier avec d’autres valeurs. Et puis, Rennes est très avant-gardiste en termes d’éthique et d’écologie », résume Jérémy Leduc, cofondateur de la cantine Les Grands Gamins.
Dans son café qui emploie quinze salarié·e·s l’hiver et vingt-deux l’été, l’entrepreneur, lui-même reconverti, a supprimé la coupure du midi et mis en place une équipe du matin et une du soir. Grâce à un logiciel de ressources humaines, le temps de travail est contrôlé et lissé sur l’année. Un outil précieux dont se sont inspirés les membres du collectif aux brigades les plus fournies. Chez les autres, les horaires ont tout simplement été revus à la baisse. À Peska par exemple, bistrot de curiosités marines, on n’ouvre plus que le soir du mardi au samedi. Pareil du côté de la cave à manger Pénates, et à Bercail. « Ce sont des choix qui nous paraissaient impensables avant. Mais avec le confinement, on a pu poser nos cerveaux et on s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus faire 90 heures par semaine », confie Clémentine Guillois, à la tête de Peska.
Woke washing ?
Intrigué·e·s par la démarche, une dizaine de restaurateur·rice·s sont venu·e·s, depuis, gonfler les rangs de la bande. Une ouverture qui n’est pas sans poser quelques questions : comment s’assurer que chaque membre soit irréprochable avec son personnel, une fois la réunion terminée ou les portes de l’établissement closes ? Que derrière l’adhésion au collectif ne se cache pas un brin de récup’ ? Sibylle Sellam, la cheffe de Bercail, tranche : « On n’est pas là pour juger ce qui se passe dans la cuisine des autres – on n’en a ni le temps ni l’envie. Mais il faut que tous les membres participent aux réunions trimestrielles et prouvent qu’ils ont fait des progrès dans l’année, sinon, ils sortiront. » Et Grégoire Foucher de commenter : « De toute façon, avec les apprentis et les salariés qui changent souvent de restaurant, on sera au courant… »
Pour lire la suite de l’article, c’est ici : À l’ouest, le bonheur en cuisine ?